Article écrit en 2022, pour Chihiro Masui
et son nouveau journal dématérialisé S.O.P...
Le Vin et le Lièvre à la Royale.
En pleine saison du lièvre à la Royale, les amateurs se
retrouvent, parfois souvent à l’automne, autour de ce plat classique de la
cuisine Française cynégétique, aux variantes multiples, qu’il s’agisse ici de
la recette classique d’Antonin Carême ou de sa variante en effilochée, du
Sénateur Couteaux ; dans tous les cas accompagné d’une riche sauce au sang et
au vin rouge, volontiers augmentée de cacao.
Ce plat merveilleux ne manque pas à l’instant du choix du vin, d’ouvrir
des débats passionnés… et réserver parfois quelques jolies surprises.
L’harmonie la plus classique en la matière associe à
cette recette aux saveurs puissantes et complexes, la charpente d’un vieux et
grand Saint-Emilion ou d’un Pomerol, qui ne peuvent décevoir. Tout aussi
classique et réussie est l’harmonisation du lièvre à la Royale avec un grand
Pinot noir des côtes de nuits comme un Chambertin ou un Vosne Romanée de grande
stature, ou encore une grande Syrah tel un Hermitage ou un Grenache concentré
(Fonsalette, Rayas) … mais encore ?... Reste-t-il une place pour un vin blanc
aux côtés de ce puissant lièvre flanqué d’une sauce aussi riche, complexe et
composée de vin rouge et de sang ?
Ce fut une découverte, au début de ce siècle, de trouver
sur une grande table Tourangelle, chez Jean Bardet, au Château Belmont, une
recette merveilleuse, qui signait un accord parfait avec … un vénérable
Sauternes (Château Gilette, crème de tête 1990). La surprise était totale,
l’accord tonitruant, l’ensemble délicieux, propre à ouvrir des horizons
nouveaux avec ce plat traditionnellement associé à de grands vins rouges ou
parfois aussi (avec succès) à des vins mutés comme de grands Portos.
La recette était proche de celle du Sénateur Couteaux,
délicatement dressé en dôme recouvert d’une pellicule de céleri, ce lièvre à la
Royale s’accordait merveilleusement avec le Sauternes. Deux vins étaient
proposés ce soir de réveillon avec ce plat à la texture fondante et aux saveurs
à la puissance maîtrisée : Griottes-Chambertin 1955 de Thomas Bassot, et le
Château Gilette 1990. L’effet de surprise était total et aucun des convives
réunis autour de ce lièvre d’anthologie ne put résister à s’essayer à
l’exercice de la comparaison.
Le Chambertin s’associait merveilleusement avec le lièvre
: un accord classique ; la puissance colossale de ce vin donnait à l’ensemble
une stature hors pair, parfaite gourmandise qui semblait devoir écraser
l’option sauternes, presque sans doute aucun…voire.
Le Sauternes (même après le Chambertin, d’une
impressionnante stature) s’imposait avec autorité, une sucrosité, une
onctuosité qui venait faire avec le lièvre un accord parfait, avec un brin
d’acidularité et un fruit qui soulignaient avec élégance le brin de sauvagerie
qu’exprimait encore le lièvre.
Surprise totale, enchantement sous le regard ravi de
Sophie Bardet qui, la première, avait osé cet accord met-vin. L’expérience sera
renouvelée et la voie ouverte à quelques expériences alternatives…
Et oui, le vin blanc peut dans certaines formes
atypiques, faire une belle harmonique gourmande avec le Lièvre à la Royale… on
s’essayera par la suite à d’autres expériences comme les vins du jura… d’une
tourte au lièvre à la Royale avec un vénérable Château Chalon 1942 (une petite
merveille) ou avec un Vouvray jadis moelleux (1952) du Clos de Nouÿs mais s’il
en est un qui aura marqué les papilles par la surprise et méritera d’être
reconduit au moins une fois chaque année, ce fut bien cet accord a priori
improbable d’un grand Sauternes avec le lièvre à la Royale. « Ordonnance à
renouveler »…
Le Lièvre de Denis GROISON au MaZenay |